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Discipline de la communication élaborée par l’anthropologue américain Edward T. Hall, la proxémie étudie la gestion de la territorialité. Cette approche révèle que les rapports de proximité entre les différents membres régulent en partie le comportement de chacun. Tout se passe comme si des sphères invisibles définissaient une bulle autour de chaque individu et que la relation entre les individus et la taille de la bulle étaient interdépendantes.
Les sphères corporelles communiquent
L’espace n’existe que par la référence à un sujet, à un groupe, donc par ce qui le remplit. Il est donc source de comportements et champs de valeurs. Notre sphère corporelle est l’une des premières sources d’émission des messages. Et c’est en tant que telle qu’elle est appropriée par l’individu qui délimitera son territoire en la signant par des comportements et des gestes.
Edward T. Hall défini quatre bulles, dans lesquelles il différencie deux positions, proche et éloignée. La bulle intime : la position proche correspond au contact et la position éloignée peut aller jusqu’à 45 centimètres. La sphère personnelle peut atteindre 1,25 mètre et correspond généralement à la longueur de votre bras étendu.
La bulle sociale se situe entre 1,2 et 3,5 mètres, à cette distance la prise de parole est hiérarchisée. La sphère publique offre une véritable protection émotionnelle. Étant donné qu’il n’y a plus de contacts visuels directs, l’auditeur peut se soustraire de l’influence de celui qui parle.
À chaque sphère, corresponds une manière particulière de percevoir et de communiquer avec un interlocuteur. En effet, nous ne voyons pas l’autre de la même façon à 40 centimètres ou à 2 mètres de distance. De même, nous ne l’entendons pas de la même façon, les odeurs sont perçues différemment.
Par exemple, un dirigeant peut faire évoluer la nature de ses relations en faisant des réunions informelles, dans une salle plus petite, pour se rapprocher de ses collaborateurs. Ces derniers se sentiraient alors plus impliqués par les propos de leur directeur, qui passerait ainsi de la bulle publique à la bulle sociale, voire personnelle avec certains d’entre eux.
Communiquer avec l’espace
Par le choix des espaces, des distances et des rapports que nous instaurons avec les autres, nous communiquons déjà quelque chose de son comportement et de ses intentions (partage, domination, effacement). Il est donc important de comprendre comment l’individu appréhende, pense et comprend l’espace et son contenu.
Cette compréhension va se lire au travers de trois registres que va interpréter le sujet :
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Sa psychologie de l’espace : le rapport que l’individu entretient avec son milieu,
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Sa perception de l’espace : la dimension affective de l’espace vécu,
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Son appropriation de l’espace : l’ancrage de l’individu dans son environnement.
Ces trois registres vont révéler l’identité spatiale du sujet, c’est-à-dire la façon dont l’individu s’approprie l’espace dont il a besoin pour signer sa présence. Cela permet de comprendre sa stratégie d’approche ou d’évitement vis-à-vis d’un interlocuteur ou d’un groupe de personnes.
D’une manière générale, ces distances s’établissent d’une manière instinctive, même si elles dépendent de plusieurs facteurs comme notre éducation, notre personnalité mais aussi des personnes en présence. Dans une situation de séduction, la communication débute dans la sphère sociale puis passe à la bulle personnelle pour aboutir finalement à celle de l’intime.
Les transgresser est le signe d’une volonté, consciente ou non, de changer le mode de relation avec l’autre. Il est intéressant d’avoir conscience de ces bulles car on peut choisir délibérément de changer de mode de relation.
Toucher et communiquer
Le toucher bénéficie d’un statut particulier. En effet, le toucher devrait constituer une intrusion dans notre espace intime. Au contraire, les recherches ont montré qu’il agissait comme un catalyseur d’influence et dans certaines situations, le toucher a en fait une influence positive.
En général, être touché modifie la perception que nous avons de notre interlocuteur. Cela permet de se sentir plus à l’aise et réduit le stress. De nombreuses études montrent que le fait d’être touché (sur le bras ou l’avant-bras) augmente de manière notable la sympathie naturelle que nous pouvons porter à notre interlocuteur.
Par exemple, le toucher est une arme de persuasion massive pour les commerciaux. Bien entendu, cela ne fonctionne pas à chaque fois. Évidemment, cette technique, même si elle est efficace, est loin d’être infaillible.
En effet, certaines personnes plus vigilantes supportent mal un tel signe de familiarité et seront choquées de cette intrusion dans leur sphère intime. Il s’agit de bien estimer avant tout à qui vous avez affaire et de ne pas être trop insistant ! Sinon, cela pourrait être contre contre-productif. Le toucher est donc à manier avec délicatesse.
L’espace étant invisible, nous ne sommes pas toujours conscient de notre gestion de notre territoire à partir du moment où nous entrons en contact physique avec une personne. Pourtant, nous avons tous le réflexe d’ajuster cette distance en fonction de la nature des relations entretenues avec nos interlocuteurs. Désormais, vous poserez un autre regard sur votre positionnement et proximité avec votre manager ou collègue lors d’une prochaine réunion formelle … ou à l’occasion d’un café.
A propos des secrets du langage corporel
Les erreurs dans les démarches de recrutement, de management et de négociation coûtent cher. Au quotidien, vos collaborateurs, managers, pairs et dirigeants tentent aussi de décoder vos intentions et émotions grâce à vos indices verbaux et non verbaux. Sachez comment vous êtes perçu par votre entourage professionnel, que ce soit à la première rencontre ou à chaque fois que vous arrivez dans le bureau d’un collaborateur.
Si vous avez envie de ne plus vous tromper pour jauger un individu ? Besoin de mieux repérer les risques chez l’autre ? Vous êtes au bon endroit.
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Bonjour Virginie.
Merci pour ce nouvel article.
En effet, ces « sphères invisibles » et pourtant influentes dans les relations humaines, nous les rencontrons au « carrefour » de différentes approches.
D’ailleurs, ce phénomène intuitif de « sphères invisibles » existe aussi entre les animaux, mais plus souvent dans un rapport dominant / dominé, ou bien de proie / prédateur.
Et parfois les différences entre les rapports humains et les rapports entre animaux ne sont pas si éloignés, signe d’un héritage pas totalement corrigé par l’éducation pourraient dire les anthropologues.
Dans les relations humaines, cette approche des « sphères invisibles » d’influences développée dans votre article est plus du domaine de l’expertise RH, connaissances indispensables aux recruteurs notamment.
Et il est vrai que concernant ces « sphères invisibles », on retrouve des approches similaires dans :
1) La sophrologie, où l’on parle aussi d’ancrage lors d’exercices de respiration en position debout.
Et c’est également utile pour une prise de parole en public pour prendre sa place et faire « respecter » sa place parmi les autres.
Nous connaissons les effets de « l’inconfort » d’une pièce sous-dimensionnée / nombre de participants, où les circonstances nous contraignent à empiéter réciproquement sur nos « sphères invisibles ».
D’ailleurs, dans le métro aux heures d’affluence, nous sommes tellement serrés que nous avons même tendance à éviter nos voisins du regard, alors que lorsque nos espaces respectifs sont respectés du fait d’un métro peu occupé, nous pouvons plus volontiers entrer en communication avec notre voisin inconnu, situé à deux mètres.
2) L’analyse transactionnelle et la PNL, où l’on parle du sens et de la mémoire kinéstésiques. Avec la précaution nécessaire de « prendre contact sans contact » au préalable avec nos interlocuteurs, car ce qui est perçu de façon amicale pour les uns peut être perçu comme une intrusion dans la « sphère invisible » pour d’autres.
Les regards et la voix sont généralement les premiers vecteurs de contacts qui permettent d’évaluer le moment et/ou la possibilité du contact (la main sur l’épaule par exemple).
Et parfois notre inconscient installe une forme de veto qu’il faut savoir déceler chez les autres et faire respecter pour soi-même, car « on ne peut pas plaire à tout le monde ».
Vous savez que l’expression « cette personne je ne peux pas la sentir » est en fait liée à une réaction instinctive de transpiration excessive provoquée par l’inconfort ressenti, dans une situation donnée et/ou avec une personne.
Ce phénomène instinctif est aussi un héritage animal, et il est encore utilisé par certains animaux, parfois pour séduire ou parfois pour repousser.
C’est même parfois illustré par cette autre expression « tu me fais suer », ce qui confirme l’héritage instinctif de l’animal, car les animaux suent alors que les humains transpirent.
3) Les formations de formateurs, où l’on aborde l’adéquation entre l’espace, la disposition de la salle, la formule pédagogique et le thème développé.
Et on sait à quel point la préparation de ces paramètres cohérents va influer sur la qualité et l’efficacité de la formation (ou de la réunion, ou du groupe de travail).
4) Et il y a même de grandes similitudes avec l’enseignement des moines Bouddhistes. Je conserve le souvenir de plusieurs livres (lus dans les années 80) sur cet enseignement et cette culture, que j’ai retrouvés près de 40 ans plus tard dans la pratique de la méditation. Ces lectures ont probablement influencé ma perception des relations humaines, et donc ma propre « sphère invisible », celle qui influence aussi à l’extérieur.
Il existe probablement d’autres approches qui contiennent des éléments qui se rejoignent à ce « carrefour » de nos « sphères invisibles » et de leurs influences dans les relations humaines.
Celles-ci étaient juste pour apporter ma petite contribution à ces échanges de connaissances et d’expériences.
A bientôt Virginie
Jean-François
Merci Jean-François pour ces éléments effectivement très complémentaires.
Je travaille justement sur un article qui reprend l’histoire de l’étude du non verbal et cela permet de voir à quel point cette dimension de la communication est étudiée dans de nombreuses disciplines !
Bien à vous, Virginie
Bonjour Virginie.
Merci pour ces échanges.
Pour extrapoler un peu, nous savons également que l’art en général, et la musique notamment, sont aussi des vecteurs d’émotions, même sans paroles parfois.
Elle permet à des musiciens du monde entier de « communiquer », de « se comprendre » et de « se faire comprendre » de leur public, alors qu’ils ne parlent pas toujours la même langue.
La puissance de ces sept notes serait-elle ainsi plus forte que nos alphabets, puisqu’elles sont universelles et n’ont pas besoin de traduction ?
J’aime différents styles de musique et notamment la musique classique, car c’est la 1ère fois que j’ai entendu « Pierre et le loup » de Prokofiev en classe de maternelle, que j’ai découvert qu’une histoire pouvait être « racontée » par des instruments de musique .
Ce jour-là je suis tombé amoureux de la musique, en même temps que de ma maîtresse d’école (mais ne le répétez pas) !
En 2016, j’ai eu l’occasion de suivre une petite initiation de « la langue des signes ».
Et c’est vrai que le non verbal trouve là toute sa signification, non seulement dans les signes, mais également dans les émotions exprimées par le visage et le corps.
Même derrière nos masques du moment, nous devinons nos sourires, nos joies ou nos peines.
En 2004/2005, j’avais commencé à travailler sur un projet en vue d’une interprétation théâtrale pour mettre en évidence l’incidence de l’image vestimentaire, sur l’image globale.
L’idée était d’inverser et mélanger les styles vestimentaires entre différents personnages pour donner un effet comique, mais aussi pour démontrer que si « l’habit ne fait pas le moine », chaque fonction et chaque situation nécessitent un « habit » circonstancié, afin que l’image donnée soit en cohérence avec « le rôle ou la fonction » du moment, ce que nous faisons tous assez naturellement.
L’illustration de ce « décalage » entre l’habit et le rôle peut également être mise en évidence avec un « décalage » voulu entre le verbal (les mots et le ton) et la fonction (ou le rôle), avec parfois un impact de parasitage encore plus fort que la « communication voulue ».
D’un point de vue pédagogique on se rend compte que parfois, commencer une formation sur ce sujet avec une introduction humoristique pour illustrer ce type de « décalage » ; ce que l’on pourrait appeler de l’incohérence entre le fond et la forme ; facilite ensuite la compréhension des signes non verbaux et de leurs impacts.
Lorsque j’interviens parfois dans des établissements scolaires, notamment auprès de jeunes qui doivent se préparer en vue d’un stage, j’insiste justement sur la cohérence entre ce que « dit » leur CV, ce qu’ils expriment au téléphone, ce qu’ils montrent et ce qu’ils disent en face à face, et ce qu’ils sont réellement. Avec une recommandation essentielle : ne trichez pas !
Bonne fin de journée.
Jean-François LECARPENTIER